Bonne idée que ce blog
"Atelier d'écriture" que vient de lancer le professeur de Français de ma fille.
Je suis comme toute les mères : fière de mes rejetons... Sans doute aussi un peu aveugle sur leurs talents réels.
N'importe, le texte qui suit, écrit par ma fille de quinze ans, m'a émue. Cette histoire de folie me parle. Peut-être que ce sera aussi votre cas.
Ou non.
Seule, elle se regarde dans le miroir, à l’autre bout de la pièce.
Ça y est, elle l’a fait. Enfin. C’est comme une libération.
La femme regarde ses mains crispées, rouges et elle sent le spasme qui monte, lentement, tout doucement, tranquillement dans son ventre. Il arrive enfin dans sa gorge et la déchire d’un rire bruyant. Et, au même instant, elle sort de son corps, à demi, entre deux mondes. Alors la femme se voit, se regarde, elle comprend. Un rictus de dégoût se dessine sur son visage et, ce rire si bruyant se transforme soudain en un cri. Bouleversant, douloureux, celui d’un monstre.
Yann5 Avril 2009.
Dans le grand appartement du XVIe, le légiste Drick ferme la housse noire. L’odeur, si imposante lui chatouille les narines. A l’instar des agents qui fourmillent dans la pièce, ce parfum ne le dérange pas, il l’apprécie. Chaque victime a le sien et il aime savoir que tout Être est unique. C’est un passionné, un fou du cadavre lorsque l’Autre le hante.
Une main se pose sur son épaule.
« Alors, le rosbif ? »
Les yeux toujours rivés vers le sac noir, Drick reconnaît l’inspecteur Maurice Tuillier, un expert en blagues de mauvais goût.
« Apparemment la victime, Yann Blondin, est morte après l’acte. Le pauvre a dû souffrir atrocement vue son état. La symétrie des lacérations relevées sur son torse me font penser à un rite sadomasochiste. Et le fait que son visage soit intact reste encore un mystère pour moi. »
« Et que fais-tu des côtes arrachées ? »
« C’est une énigme. »
« M-m-m-monsieur T-t-t-tuillier ? ! »
L’inspecteur se retourne et sa bedaine le suit de près.
«Quoi Bègue-eule ? »
Le jeune Thomas est sur le point de s’étouffer comme étranglé par sa chemise, fermée jusqu’au col.
« Nous avons retrouvé d-d-d-des cheveux sur le lit de la victime, p-p-p-probablement sont-ils à u-u-u-une femme car ils sont longs et b-b-b-bruns.
« Une femme tu dis ? Bien fiston, très bien ».
Le jeune Thomas repart guilleret.
« FANTA ! Fanta ! ! Crénon, Fanta ! ! »
Lee Lung, traîne son postérieur plus qu’imposant jusqu’à Tuillier.
« Oui patron ? »
« Envoie tout de suite ces cheveux au Labo. »
« Oui Patron ! »
L’inspecteur Maurice Tuillier reste dans la pièce jusqu’à ce que le corps soit emporté, il sort son paquet de Rothman rouge et allume une cigarette.
C’est ainsi qu’à 23h52 un homme, dont le visage est marqué par le temps, se pose mille questions, entouré d’un nuage de douleur qui part en fumée.
Maurice19 Avril 2009.
Maurice Tuillier laissa échapper un soupir ! Cette femme le tuerait...
Il était marié à Jeanne depuis près de 30ans et ne savait pas ce qui l’avait maintenu à ses côtés.
Elle était discrète et dévouée mais Maurice n’avait jamais eu de réels sentiments à son égard.
De plus, Jeanne avait une passion pour la propreté et le ménage, ce qui avait le don de l’agacer. Dans ses moments de folie du rangement, il avait l’impression que quelqu’un d’autre l’habitait.
Et aujourd’hui, une fois encore, le malaise s’était installé au sein du couple à cause d’une simple histoire d’oreiller. Alors, Jeanne était partie faire les courses, muette et diligente, comme à son habitude. C’est ainsi que Maurice s’était retrouvé seul, dans le petit salon, au coin de la cheminée.
Il regarda autour de lui.
Des vacances ? Mon œil !
Cette maison de campagne, il la détestait. Tout ici le déprimait ; la nappe orange en toile cirée ornée de tournesols jaunes, les casseroles en fonte accrochées dans la cuisine, les rideaux en dentelles qui avaient pris la poussière et surtout, cette odeur de cendres froides qu’il exécrait.
Ses yeux se levèrent enfin vers la boîte, placée au-dessus de la cheminée. C’était à cause d’elle qu’il s’était enfermé dans ce personnage d’homme vulgaire et indélicat.
Il se souvint. En à peine quelques jours, un Autre avait fait surface, le rongeant bout à bout jusqu’à l’avaler. Il avait suffi d’un seul coup de fil.
Clémence13 Novembre 1993.
Jeanne prépare le dîner dans la cuisine. Dehors, il fait nuit. Maurice est installé dans son fauteuil de cuir marron et il écoute cette douce musique qui émane du poste de radio.
Tout est très calme dans la maison. Clémence est partie dormir chez une amie et Léo, le chien de la famille, s’est endormi.
Maurice est heureux. Il pressent que la soirée va être agréable et surtout très longue.
Il sourit, lève son verre et savoure lentement son whisky.
Jouissance. Sa gorge s’enflamme et ses joues rougissent. Il sait qu’après, il savourera sa cigarette et que, lorsqu’elle se sera consumée, il ira retrouver Jeanne.
Alors, il l’enlacera, l’embrassera doucement et fera tomber sa robe à ses pieds.
Une sonnerie agressive vient le tirer de sa somnolence.
Maurice se lève difficilement de son fauteuil et décroche le combiné. A l’autre bout du fil, un agent de police se présente et finit par lui dire.
Il avait suffit de ce coup de fil.
La suite lui avait paru tellement incongrue face à ce moment de bonheur simple, qu’il avait fallu qu’il se retrouve devant le four crématoire pour enfin comprendre.
Désormais la maison resterait calme. Elle n’était plus là, elle était partit en une seconde lors d’un moment d’ivresse de jeune femme égoïste. C’était impossible, sa fille ne buvait pas…Il s’en voulait de ne pas l’avoir comprise ; finalement, elle était une autre, une étrangère.
Après qu’un homme lui ait remis en main propre les cendres de sa fille, Maurice avait soulevé le couvercle de l’urne et une odeur de cendres lui avait soulevé le cœur.
Maurice13 Novembre 2009.
Encore une fois, la sonnerie du téléphone vient le réveiller.
Il lui faut dix bonnes secondes pour pouvoir s’extirper de son fauteuil.
Maurice traîne lourdement ses pieds jusqu'à l’appareil.
« Allô!? »
« Inspecteur ? On a trouvé l’assassin ! »
14 Novembre 2009.
Après trois heures de route, j’arrive enfin devant l’hôtel indiqué par mon collègue.
Le bâtiment est encerclé de policiers armés, prêts à tirer. Malgré cela, il règne un silence grave, aucun ordre n’ayant été donné avant que je ne n’arrive.
Un homme que je ne connais pas vient à ma rencontre, il me salue.
« Monsieur ! La fille est à l’intérieur, elle s’appelle Sarah Robin, a 17ans et n’a pas d’antécédents judiciaires. Elle s’est enfermée dans sa chambre. »
J’acquiesce. Je ne sais pas quoi dire. La tension est palpable autour de moi et je décide de m’allumer une cigarette pour mieux réfléchir.
« Que faisons-nous Monsieur ? »
Il me dérange ce petit merdeux avec ces questions.
« J’y vais, ne bougez pas. S’il m’arrive quelque chose, vous m’entendrez tirer. »
Je regarde mon arme de service et avance lentement. Je sens toutes les paires d’yeux vissées sur moi, mais je n’y fais pas attention.
J’arrive enfin devant la porte 33. De l’extérieur, je peux entendre des gémissements.
Ils me font mal, ils s’enfoncent dans mon cœur comme des coups de poings. Je pense à Clémence et j’ai l’impression que c’est sa voix que j’entends, ses cris, ses pleurs au moment de sa mort.
Dans un mouvement imbécile, je frappe à la porte.
Quel con !
Je donne soudain un grand coup dedans et elle s’ouvre sans résister.
Ce que je vois est insoutenable. Elle est là, au milieu de la pièce, presque assise sur le lit, couverte de sang. Deux blessures symétriques balafrent son torse.
Elle se débat avec l’Autre qui tente de lui arracher ses côtes.
La main démente fouille littéralement son ventre ouvert, l’adolescente veut l’en empêcher, en vain.
Violemment, son buste se redresse. Elle ne crie plus. Et, sur ses lèvres charnues, glisse un lent filet de sang.
Ses yeux bleus sont grands ouverts et me fixent avec insistance. J’ai la sensation qu’elle m’appelle à l’aide mais l’Autre le lui interdit. Ses râles sont insupportables. Si douloureux…
Ses longs cheveux noirs qui encadrent son visage font ressortir sa pâleur morbide et, pour la première fois, j’ai vraiment peur.
Peur pour elle car je sais que je ne peux pas l’aider, que je ne peux pas sauver cette âme sans vie depuis trop longtemps, ni ce corps qui ne lui appartient plus.
Alors seulement, je remarque qu’elle est nue.
Malgré moi, mon regard se dirige vers son entre jambe. Peut-être pour me rappeler que finalement, ce n’est pas un monstre qui se tient devant moi, mais seulement une jeune femme malade.
Ses cuisses sont couvertes d’hématomes et ne cessent de trembler.
Je voudrais tellement la prendre dans mes bras, la serrer aussi fort que je le peux et faire cesser ces spasmes qui secouent son être.
Mais l’Autre est toujours là et continue de meurtrir son corps. La jeune femme se penche, hoquette et, sa main encore dans son ventre, finit par vomir.
Elle tire sur ses flancs, arraches ses seins, laboure son visage, griffe ses cuisses et avant de s’évanouir, elle lâche dans un ultime hurlement « Tout est de ta faute ».
Sarah14 Novembre 2009.
Je ne sais pas ou je suis, je vois seulement des visages flous au-dessus de moi.
Il y en a un qui revient sans cesse.
Maintenant, je vois celui de Yann ! Yann, Yann ! ! Je veux crier ! Je souffre mon Dieu, je souffre au plus profond. Qu’est ce que j’ai fait ? Je me déteste ! Je me hais, je hais ce monde, cette vie qui était la mienne.
Il m’a tant promis et je l’aimais si fort qu’il est devenu une drogue. Une putain de substance qui m’a rendu folle, folle à tuer.
Je suis seule. Je l’ai toujours été. Même dans ses bras. Ou plutôt, j’avais toujours été seule avec Elle, coincée en moi-même. Et Elle me disait de le tuer, de le faire souffrir comme les autres m’avaient fait souffrir, de le meurtrir jusqu’à me libérer de cette haine.
C’est Elle ! Tout est de sa faute.
Mais c’est moi que je dois tuer, je suis un monstre, un monstre fabriqué par le monde et tous les autres.