Hier, fête du muguet, les syndicats de France avaient réussi à se rassembler pour un défilé unitaire. La belle affaire ! Ce qui est inquiétant, c'est que ce soit pour eux un tour de force. Le résultat me ferait hurler de rire si j'étais plus cynique et moins concernée par le spectacle pathétique de nos représentants.

Les syndicats sont tout heureux. M. Chérèque se félicite de cette mobilisation qui a regroupé autour des banderoles réunies quelques 1 200 000 manifestants : "Ce qui change aujourd'hui, c'est que, malgré nos différences, à chaque fois on trouve une solution entre les organisations syndicales".

Bernard Thibault se dit favorable à toutes les formes d'action susceptibles de continuer à "entretenir la mobilisation" et à "élargir le nombre de ceux qui participent au mouvement". C'est même pour lui "l'objectif".

Las !

Dans la rue, il y avait hier deux fois moins de gens que le 19 mars dernier.

Du coup, le gouvernement n'est pas précisément inquiet : Déjà en janvier, Sarko disait comprendre sans vouloir pour autant ralentir ses réformes. Même son de cloche hier via Hortefeux qui trouve "l'inquiétude comprehensible" mais écarte toute nouvelle mesure en faveur du pouvoir d'achat.

Et plutôt que de s'interroger sur les bonnes raisons de cette baisse de la mobilisation, ou de fustiger le trop beau temps qui a encouragé les travailleurs à butiner plutôt en pique-nique, on nous rebat les oreilles d'un vaste complot des forces du mal qui nous détournerait des luttes ouvrières et ferait l'affaire des laboratoires pharmaceutiques !


Le privilégié a pourtant mis par deux fois l'accent là où ça fait mal.

Dans son billet du 29 avril, il écrit :

"A la base, on pouvait se satisfaire de ce nouveau mouvement. D’abord, il réunit l’ensemble des syndicats importants, ce qui, en France, est en soi un tour de force. Ensuite, il se place dans la continuité des deux grèves déjà effectuées en janvier et en mars et qui ont été des succès.

Pourtant, il y a, à mon sens, une énorme faiblesse à cette action : les suites ! En effet, que va-t-il se passer derrière ? On va manifester bien gentiment, derrière nos syndicats et leurs banderoles. Et ensuite ? Lundi, on reprendra le travail, avec en perspective une éventuelle nouvelle manifestation, avec peut-être une grève, à la moitié du mois de juin. Qu’en retirera-t-on ?"

Le lendemain, il précise dans un second billet :

Pour moi, cette manifestation, dernier développement des mouvements de janvier et de mars, est l'aboutissement d'un processus qui illustre la décomposition avancée de nos organisations syndicales.

Certes, il y a bien eu la victoire contre le CPE, mais je reste convaincu qu'elle est davantage le résultat de la défaite politique de Dominique de Villepin contre Sarkozy que de l'ampleur des manifestations. A part ça, depuis 1995, je ne vois rien, absolument rien de positif qui ait été obtenue par la lutte sociale.

Souvent, on lit que ces échecs sont liés àla division du syndicalisme français.[...] Le problème est bien davantage lié à la crise idéologique que connaît le syndicalisme, comme d'ailleurs l'ensemble des mouvements progressistes, depuis la dépression des années 1970 et les succès idéologiques de la droite néolibérale. Nous souffrons d'un manque de courage certain, de difficultés à sortir des modèles marxistes-léninistes et à rénover nos idées, d'absence d'une perspective politique crédible, et d'une dégradation des conditions de travail des salariés qui a affaibli les mouvements sociaux."


Sans aucun doute on pourrait aussi voir dans cette baisse de la mobilisation les effets d'une démocratie malade de ses élus. A force de toujours se préoccuper davantage de leur ré-élection plutôt que des affaires publiques, à force de nous ressortir les mêmes vieilles recettes qui ont fait long feu, à force de nous proposer toujours les mêmes têtes d'affiche qui cumulent, les électeurs-travailleurs n'y croient plus et se demandent tous " Et ensuite ?".


Ce qui fait le lit de la sarkozie, ce n'est pas un bienvenu virus grippal qui détournerait les citoyens de leurs assiettes et leur ferait oublier qu'il n'ont plus de beurre dans leurs épinards, c'est bien plus simplement l'état délétère de nos institutions.

Monsieur Thibault, l'objectif n'est pas de rassembler toujours davantage, il est de proposer une alternative crédible aux Français.

Tant que l'on aura en France le choix entre la peste et le choléra, je ne vois pas bien comment nous pourrons avancer.